L’enjeu d’une campagne de jeu de rôle
Une récente discussion de fin de partie a attiré mon attention sur la question des récompenses. Il y avait une différence entre ce que prévoyait le scénario et l’attente des joueurs en points d’expériences reçus. C’était un nouveau système que nous testions depuis quelques séances. Nous avions déjà remarqué que les personnages commençaient nettement plus puissants que la moyenne des humains alentours. Nous découvrions que la progression serait longue. Après un rapide calcul, il semblait que la campagne entière représenterait une progression faible en terme de puissance des personnages.
Alors était-ce un mauvais jeu ? Ou simplement un jeu différent de ceux auxquels nous étions habitués ? D’où venait cette sensation d’avoir une maigre récompense ? Les points d’expériences étaient ils les seules récompenses de l’aventure ? Qu’essayaient de nous dire les règles du jeu ?
La nature des récompenses.
En partant de mes expériences, une analyse rapide montre une certaine variété de récompenses, plus ou moins formalisées selon les jeux de rôle.
L’expérience est sans doute la plus classique des récompenses dans le monde du jeu de rôle. C’est aussi d’une certaine manière la plus spécifique, car on la retrouve rarement dans les autres jeux. Depuis Donjons & Dragons, elle est la récompense ultime. Elle représente la progression du personnage vers la compétence, voire carrément vers la puissance. Grace à elle, un jour, plus rien ne pourra résister au personnage. Ses coups d’épée trancheront des dragons en deux. Ses sorts ravageront des continents.
La richesse est aussi une récompense classique. Selon les jeux et les univers, cette richesse sert différents desseins. Elle permet souvent d’améliorer l’équipement qui lui même améliore l’efficacité du personnage et devient un complément de l’expérience dans la prise de puissance du personnage. Plus rarement, elle permettra d’acquérir une puissance sociale à travers l’achat de bâtiment, d’homme de main, de soutiens politiques, etc. Rarement, elle sera un objectif en elle même.
La gloire est la récompense qui me vient tout de suite après. Elle est parfois gérée par un système, parfois laissée à la discrétion du meneur de jeu. Après tout on ne tranche pas en deux un dragon sans finir par se faire un nom.
L’influence est parfois confondue avec la précédente, mais quand elle est distinguée, elle prend de nombreuses formes : fidèle bras droit, contacts, suivants, soutien d’une guilde ou organisation plus ou moins puissante, titre de noblesse, charge royale, etc. Elle revient généralement à bénéficier de services qui vont faciliter la vie du personnage : soutien musclé, source d’informations, accès à du matériel ou à des lieux.
Le succès est très rarement géré en terme de jeu mais constitue souvent l’objectif de la campagne. La campagne, et ses aventures, posent souvent un ou plusieurs problèmes. Injustices, mystères, trésor à prendre, princesse à sauver, peut importe la nature de ce problème, la première réussite sera de résoudre ce problème. Il arrive qu’une mini séquence n’apporte aucune des récompenses précédente : la péripétie était trop facile, personne ne sera au courant et personne ne sera reconnaissant. Peu importe, le personnage aura accomplit quelque chose et le joueur en aura la satisfaction. On le retrouvera souvent dans son carnet d’aventure s’il en tient un. Ce sont ces "succès" (peu importe le nom qu’on leur donne) qui viendra enrichir le roleplay [1] du personnage, bien mieux que les autres, qui lui donnera une histoire.
Une typologie des campagnes
Toujours en me basant sur mon expérience, je réalise que selon les jeux, les campagnes, les groupes, nous avons mis en avant plus ou moins certaines récompenses en avant.
A D&D la course au point d’expérience reste la base, tout le système est pensé pour avoir le plaisir de voir son personnage passer d’insignifiant à ultra puissant. A Cyberpunk, Shadowrun ou Chtulu on a vite compris que rester en vie était une récompense en soit, et que ça ne pouvait pas aller sans quelques traumatismes. Progresser n’était pas dans nos priorités, nos personnages ne vivaient pas assez longtemps. En remontant dans mon passé de rôliste j’en suis devenu à distinguer plusieurs types de campagne selon le type de récompenses attendues. On retrouve les même thèmes dans la plupart des fictions cinématographiques ou télévisuelles.
Les quêtes initiatiques, que d’autres pourraient simplement appeler la voie du grosbillisme, centrent les récompenses sur le développement personnel des personnages. Quête de puissance, d’artefacts, d’un maître, défense des opprimés tous les prétextes sont bons pour que les personnages deviennent à leur tour des parangons de puissance. Evidemment les points d’expérience et le matériel de haute magie/technologie seront les principales récompenses. Les exemples sont sans fin : Luke dans la Guerre des étoiles, Arthur dans Excalibur, Paul dans Dune, l’agent J dans Men in Black, Neo dans Matrix, Harry Potter dans les films éponymes, etc [2]. La majorité des jeux de rôle tombent dans cette catégorie, depuis Donjons et Dragons.
Les ascensions politiques insistent davantage sur une construction externe. Un chevalier voudra obtenir des terres puis aménager et développer son domaine. Un vampire voudra étendre son influence aussi bien dans la population vampirique qu’humaine. Un capitaine voudra le meilleur vaisseau et le meilleur équipage. Un soldat de corps d’armée voudra des promotions pour avoir davantage de responsabilités mais aussi plus d’influence sur le conflit. Ici l’influence et les succès seront souvent nécessaire pour que la campagne se développe. Mais d’importantes richesse compléteront souvent avec profit. Quelques exemples de fiction : House of cards, Rome ou Game of throne. Il est intéressant de noter que beaucoup des fictions citées dans les quêtes initiatiques continuent ensuite en ascension politique (Paul rassemble les Fremens, Arthur doit assainir ses frontières, Neo doit accompagner la révolte, peut être verrons nous Luke construire son temple Jedi dans les films à venir). Les jeux de rôle comme Vampire la mascarade, Guildes ou Pendragon ont aussi proposé quelques belles exploitations de cette piste. On peut aussi noter que dans Donjons et Dragons c’est une piste évoquée pour les personnages haut niveau qui ont la possibilité d’attirer des suivants, grâce à un château fort, un temple, une guilde etc.
La grande aventure est un cas un peu particulier où le cadre et les enjeux vont être tels que les personnages seront des agents du destin plus que des individus. Telle une tragédie antique, on se doute de la fin, l’enjeux c’est de voir comment on va y parvenir. En général, la campagne, voire l’aventure, sera unique. Il ne sera pas question de reprendre les personnages pour d’autres aventures par la suite. On sera moins enclin à chercher l’accumulation au delà de ce qui est nécessaire pour la réussite de l’aventure. Les one-shot sont souvent dans ce cas comme les jeux à quête unique ou à secret. Beaucoup de films sont l’équivalent de one-shot en Jeu de Rôle et tombent dans cette catégorie. Indiana Jones malgré ses 4 opus ne devient pas plus riche, plus puissant ou plus influent.
Peu de jeu de rôle utilisaient cette veine qui assurait une vie courte à la gamme. Cependant on voit se multiplier des gammes courtes avec un livre tout en un pour des one-shot, plus adaptés à la vie d’un public vieillissant. Le dernier jeu que j’ai acheté est dans cette gamme à campagne unique et à secret : Bliss Stage
Conclusion
Évidemment la magie du jeu de rôle fait qu’on peut toujours faire autre chose que ce pour quoi il était pensé initialement. Mais attention au contrat social : si les joueurs attendent des choses différentes, il va être difficile de contenter tout le monde. Et s’ils veulent tous faire la même chose, alors autant prendre un jeu pensé tout de suite pour ça.
Ce billet écrit dans la foulée d’une réflexion n’a pas pour objectif d’être exhaustif. D’ailleurs la réflexion continue, et je me laisse la possibilité d’enrichir ce texte d’autres analyse. Si vous trouvez des angles que j’ai oublié, n’hésitez pas à l’indiquer en commentaire.